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avec insolence à tous les deux cents pas. Il fumait force cigares ; après deux heures de ce plaisir, il chercha un libraire, mais ne put en trouver. Il n’aperçut de livres que dans une seule boutique ; il se hâta d’y entrer ; c’étaient des Journées du Chrétien, exposées en vente chez un marchand de fromages, vers une des portes de la ville.

Il passa devant plusieurs cafés ; les vitres étaient ternies par la vapeur des respirations, et il ne put prendre sur lui d’entrer dans aucun ; il se figurait une odeur insupportable. Il entendit rire dans ces cafés, et, pour la première fois de sa vie, connut l’envie.

Il fit de profondes réflexions cette soirée-là sur les formes de gouvernement, sur les avantages qui étaient à désirer dans la vie, etc., etc. « S’il y avait un spectacle, je chercherais à faire la cour à une demoiselle chanteuse ; je la trouverais peut-être d’une amabilité moins lourde que mademoiselle Sylviane, et du moins elle ne voudrait pas m’épouser. »

Jamais il n’avait vu l’avenir sous d’aussi noires couleurs. Ce qui ôtait toute possibilité à des images moins tristes, c’était ce raisonnement qui lui semblait sans réplique : « Je vais passer ainsi au moins un an ou deux, et, quoi que je puisse