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admirées d’eux qu’à la promenade ou à l’église ; ils se vengeaient en accueillant tous les bruits peu favorables à la vertu de ces dames, et ces médisances remontaient tout simplement à leurs laquais, car en province, il n’y a plus aucune communication, même indirecte, entre les classes ennemies.

Mais revenons à notre héros. Éclairé par M. Bonard, il reprit son sabre et son colback[1], et alla chez madame Berchu. Il acheta une caisse de kirsch-wasser, puis une caisse d’eau-de-vie de Cognac, puis une caisse de rhum portant la date de 1810 ; tout cela avec un petit air de nonchalance et d’indifférence pour les prix destiné à frapper l’imagination de mademoiselle Sylviane. Il vit avec plaisir que ses grâces, dignes d’un colonel du Gymnase, ne manquaient pas absolument leur effet. La vertueuse Sylviane Berchu était accourue ; elle avait vu par le vasistas pratiqué au plancher de la chambre, située au-dessus de la boutique, que cet acheteur qui faisait remuer tout le magasin n’était autre que le jeune officier qui, la veille, s’était montré sur Lara, le fameux cheval de M. le préfet. Cette

  1. À vérifier — (M. Debraye fait remarquer que les lanciers portaient le schapska. N. D. L. É.)