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gens de l’opposition ; c’est un véritable club de 93. Si quatre ou cinq soldats passent devant ces messieurs, ils crient : Vive la ligne ! à demi-voix ; si un sous-officier paraît, on le salue, on lui parle, on veut le régaler. Si c’est, au contraire, un officier attaché au gouvernement, moi, par exemple, il n’y a pas d’insulte indirecte qu’il ne faille essuyer. Dimanche dernier encore, j’ai passé devant le café Montor ; tous ont tourné le dos à la fois, comme des soldats à la parade ; j’ai été violemment tenté de leur allonger un coup de pied où vous savez.

— C’était un sûr moyen pour être mis en disponibilité, courrier par courrier. N’avez-vous pas une haute paye ?

— Je reçois un billet de mille francs tous les six mois. Je passais devant le café Montor par distraction ; d’ordinaire je fais un détour de cinq cents pas, pour éviter ce maudit café. Et dire que c’est un officier blessé à Dresde et à Waterloo, qui est obligé d’esquiver des pékins !

— Depuis les Glorieuses[1], il n’y a plus de pékins, dit le comte avec amertume ; mais faisons trêve à tout ce qui est personnel, ajouta-t-il en rappelant le baron Thérance et en ordonnant au capitaine de

  1. Surnom donné aux trois journées des 27, 28 et 29 juillet 1830. (Note de Colomb.)