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un cadeau

chirurgien était plus fier de sa croix que le marquis de son cordon bleu. Le père du marquis était un grand seigneur.

Un jour, à la fin d’une audience du matin, en habit noir et pour les affaires, Julien amusa le marquis, qui le retint deux heures, et voulut absolument lui donner quelques billets de banque que son prête-nom venait de lui apporter de la Bourse.

— J’espère, monsieur le marquis, ne pas m’écarter du profond respect que je vous dois en vous suppliant de me permettre un mot.

— Parlez, mon ami.

— Que monsieur le marquis daigne souffrir que je refuse ce don. Ce n’est pas à l’homme en habit noir qu’il est adressé, et il gâterait tout à fait les façons que l’on a la bonté de tolérer chez l’homme en habit bleu. Il salua avec beaucoup de respect, et sortit sans regarder.

Ce trait amusa le marquis. Il le conta le soir à l’abbé Pirard.

— Il faut que je vous avoue enfin une chose, mon cher abbé. Je connais la naissance de Julien, et je vous autorise à ne pas me garder le secret sur cette confidence.

Son procédé de ce matin est noble, pensa le marquis, et moi je l’anoblis.