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le rouge et le noir

— Joliment établi. Je fuis.

— Comment ! tu fuis ? toi, Saint-Giraud, avec cette mine sage, tu as commis quelque crime ? dit Falcoz en riant.

— Ma foi, autant vaudrait. Je fuis l’abominable vie que l’on mène en province. J’aime la fraîcheur des bois et la tranquillité champêtre, comme tu sais ; tu m’as souvent accusé d’être romanesque. Je ne voulais de la vie entendre parler politique, et la politique me chasse.

— Mais de quel parti es-tu ?

— D’aucun, et c’est ce qui me perd. Voici toute ma politique : J’aime la musique, la peinture ; un bon livre est un événement pour moi ; je vais avoir quarante-quatre ans. Que me reste-t-il à vivre ? Quinze, vingt, trente ans tout au plus ? Eh bien ! je tiens que dans trente ans, les ministres seront un peu plus adroits, mais tout aussi honnêtes gens que ceux d’aujourd’hui. L’histoire d’Angleterre me sert de miroir pour notre avenir. Toujours il se trouvera un roi qui voudra augmenter sa prérogative ; toujours l’ambition de devenir député, la gloire et les centaines de mille francs gagnés par Mirabeau empêcheront de dormir les gens riches de la province : ils appelleront cela être libéral et aimer le peuple. Toujours l’envie de devenir pair ou gentilhomme de la chambre