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le rouge et le noir

grand seigneur. Pendant qu’il s’efforçait de faire comprendre ce sentiment par Julien, un bruit léger leur fit tourner la tête. Julien vit mademoiselle de La Mole qui écoutait. Il rougit. Elle était venue chercher un livre et avait tout entendu ; elle prit quelque considération pour Julien. Celui-là n’est pas né à genoux, pensa-t-elle, comme ce vieil abbé. Dieu ! qu’il est laid.

À dîner, Julien n’osait pas regarder mademoiselle de La Mole, mais elle eut la bonté de lui adresser la parole. Ce jour-là, on attendait beaucoup de monde, elle l’engagea à rester. Les jeunes filles de Paris n’aiment guère les gens d’un certain âge, surtout quand ils sont mis sans soin. Julien n’avait pas eu besoin de beaucoup de sagacité pour s’apercevoir que les collègues de M. Le Bourguignon, restés dans le salon, avaient l’honneur d’être l’objet ordinaire des plaisanteries de mademoiselle de La Mole. Ce jour-là, qu’il y eût ou non de l’affectation de sa part, elle fut cruelle pour les ennuyeux.

Mademoiselle de La Mole était le centre d’un petit groupe qui se formait presque tous les soirs derrière l’immense bergère de la marquise. Là, se trouvaient le marquis de Croisenois, le comte de Caylus, le vicomte de Luz et deux ou trois autres jeunes officiers, amis de Norbert ou de