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les cigares de hollande

Ce jour-là, Fouqué et Mathilde ayant voulu lui apprendre certains bruits publics, fort propres, selon eux, à donner des espérances, Julien les avait arrêtés dès le premier mot.

— Laissez-moi ma vie idéale. Vos petites tracasseries, vos détails de la vie réelle, plus ou moins froissants pour moi, me tireraient du ciel. On meurt comme on peut ; moi je ne veux penser à la mort qu’à ma manière. Que m’importent les autres ? Mes relations avec les autres vont être tranchées brusquement. De grâce, ne me parlez plus de ces gens-là : c’est bien assez de voir le juge et l’avocat.

Au fait, se disait-il à lui-même, il paraît que mon destin est de mourir en rêvant. Un être obscur, tel que moi, sûr d’être oublié avant quinze jours, serait bien dupe, il faut l’avouer, de jouer la comédie…

Il est singulier pourtant que je n’aie connu l’art de jouir de la vie que depuis que j’en vois le terme si près de moi.

Il passait ces dernières journées à se promener sur l’étroite terrasse au haut du donjon, fumant d’excellents cigares que Mathilde avait envoyé chercher en Hollande par un courrier, et sans se douter que son apparition était attendue chaque jour par tous les télescopes de la ville. Sa pensée était à Vergy. Jamais il ne parlait