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la jalousie

Marquinot de Dijon, espèce de janséniste sans mœurs, comme ils sont tous.

M. de Frilair tortura voluptueusement et à loisir le cœur de cette jolie fille, dont il avait surpris le côté faible.

Pourquoi, disait-il en arrêtant des yeux ardents sur Mathilde, M. Sorel aurait-il choisi l’église, si ce n’est parce que, précisément en cet instant, son rival y célébrait la messe ? Tout le monde accorde infiniment d’esprit, et encore plus de prudence à l’homme heureux que vous protégez. Quoi de plus simple que de se cacher dans les jardins de M. de Rênal qu’il connaît si bien ? là, avec la presque certitude de n’être ni vu, ni pris, ni soupçonné, il pouvait donner la mort à la femme dont il était jaloux.

Ce raisonnement, si juste en apparence, acheva de jeter Mathilde hors d’elle-même. Cette âme altière, mais saturée de toute cette prudence sèche, qui passe dans le grand monde pour peindre fidèlement le cœur humain, n’était pas faite pour comprendre vite le bonheur de se moquer de toute prudence, qui peut être si vif pour une âme ardente. Dans les hautes classes de la société de Paris, où Mathilde avait vécu, la passion ne peut que bien rarement se dépouiller de prudence, et c’est du cinquième étage qu’on se jette par la fenêtre.