Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/359

Cette page a été validée par deux contributeurs.
358
le rouge et le noir

— Je veux écrire à mon père, lui dit un jour Mathilde ; c’est plus qu’un père pour moi ; c’est un ami : comme tel je trouverais indigne de vous et de moi de chercher à le tromper, ne fût-ce qu’un instant.

— Grand Dieu ! qu’allez-vous faire ? dit Julien effrayé.

— Mon devoir, répondit-elle avec des yeux brillants de joie.

Elle se trouvait plus magnanime que son amant.

— Mais il me chassera avec ignominie !

— C’est son droit, il faut le respecter. Je vous donnerai le bras et nous sortirons par la porte cochère, en plein midi. Julien étonné la pria de différer d’une semaine.

— Je ne puis, répondit-elle, l’honneur parle, j’ai vu le devoir, il faut le suivre, et à l’instant.

— Eh bien ! je vous ordonne de différer, dit enfin Julien. Votre honneur est à couvert, je suis votre époux. Notre état à tous les deux va être changé par cette démarche capitale. Je suis aussi dans mon droit. C’est aujourd’hui mardi ; mardi prochain c’est le jour du duc de Retz ; le soir, quand M. de La Mole rentrera, le portier lui remettra la lettre fatale. Il ne pense qu’à vous faire duchesse, j’en suis certain, jugez de son malheur !