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le rouge et le noir

journal pour avoir une contenance, et passa trois ou quatre fois du salon au jardin.

Ce ne fut qu’en tremblant et bien caché par un grand chêne, qu’il osa lever les yeux jusqu’à la fenêtre de mademoiselle de La Mole. Elle était hermétiquement fermée ; il fut sur le point de tomber, et resta longtemps appuyé contre le chêne ; ensuite, d’un pas chancelant, il alla revoir l’échelle du jardinier.

Le chaînon, jadis forcé par lui en des circonstances, hélas ! si différentes, n’avait point été raccommodé. Emporté par un mouvement de folie, Julien le pressa contre ses lèvres.

Après avoir erré longtemps du salon au jardin, Julien se trouva horriblement fatigué ; ce fut un premier succès qu’il sentit vivement. Mes regards seront éteints et ne me trahiront pas ! Peu à peu, les convives arrivèrent au salon ; jamais la porte ne s’ouvrit sans jeter un trouble mortel dans le cœur de Julien.

On se mit à table. Enfin parut mademoiselle de La Mole, toujours fidèle à son habitude de se faire attendre. Elle rougit beaucoup en voyant Julien ; on ne lui avait pas dit son arrivée. D’après la recommandation du prince Korasoff, Julien regarda ses mains ; elles tremblaient.