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déjà bien cruel, mais se voir avouer en détail l’amour qu’il inspire par la femme qu’on adore est sans doute le comble des douleurs.

Ô combien étaient punis, en cet instant, les mouvements d’orgueil qui avaient porté Julien à se préférer aux Caylus, aux Croisenois ! Avec quel malheur intime et senti il s’exagérait leurs plus petits avantages ! Avec quelle bonne foi ardente il se méprisait lui-même !

Mathilde lui semblait adorable, toute parole est faible pour exprimer l’excès de son admiration. En se promenant à côté d’elle, il regardait à la dérobée ses mains, ses bras, son port de reine. Il était sur le point de tomber à ses pieds, anéanti d’amour et de malheur, et en criant : Pitié !

Et cette personne si belle, si supérieure à tout, qui une fois m’a aimé, c’est M. de Caylus qu’elle aimera sans doute bientôt !

Julien ne pouvait douter de la sincérité de mademoiselle de La Mole ; l’accent de la vérité était trop évident dans tout ce qu’elle disait. Pour que rien absolument ne manquât à son malheur, il y eut des moments où à force de s’occuper des sentiments qu’elle avait éprouvés une fois pour M. de Caylus, Mathilde en vint à parler de lui comme si elle l’aimait actuellement.