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le bonheur du lendemain

Je me suis donné un maître ! se disait mademoiselle de La Mole en proie au plus noir chagrin. Il est rempli d’honneur, à la bonne heure ; mais si je pousse à bout sa vanité, il se vengera en faisant connaître la nature de nos relations. Jamais Mathilde n’avait eu d’amant, et dans cette circonstance de la vie qui donne quelques illusions tendres même aux âmes les plus sèches, elle était en proie aux réflexions les plus amères.

Il a sur moi un empire immense, puisqu’il règne par la terreur et peut me punir d’une peine atroce, si je le pousse à bout. Cette seule idée suffisait pour porter mademoiselle de La Mole à l’outrager. Le courage était la première qualité de son caractère. Rien ne pouvait lui donner quelque agitation et la guérir d’un fond d’ennui sans cesse renaissant que l’idée qu’elle jouait à croix ou pile son existence entière.

Le troisième jour, comme mademoiselle de La Mole s’obstinait à ne pas le regarder, Julien la suivit après dîner, et évidemment malgré elle, dans la salle de billard.

— Eh bien, monsieur, vous croyez donc avoir acquis des droits bien puissants sur moi, lui dit-elle avec une colère à peine retenue, puisque en opposition à ma volonté bien évidemment déclarée, vous prétendez