Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
rêveries

indigne d’une fille de son âge et de sa naissance. Elle ne donnait le nom d’amour qu’à ce sentiment héroïque que l’on rencontrait en France du temps de Henri III et de Bassompierre. Cet amour-là ne cédait point bassement aux obstacles ; mais, bien loin de là, faisait faire de grandes choses. Quel malheur pour moi qu’il n’y ait pas une cour véritable comme celle de Catherine de Médicis ou de Louis XIII ! Je me sens au niveau de tout ce qu’il y a de plus hardi et de plus grand. Que ne ferais-je pas d’un roi homme de cœur, comme Louis XIII soupirant à mes pieds ! Je le mènerais en Vendée, comme dit si souvent le baron de Tolly, et de là il reconquerrait son royaume : alors plus de charte… et Julien me seconderait. Que lui manque-t-il ? un nom et de la fortune. Il se ferait un nom, il acquerrait de la fortune.

Rien ne manque à Croisenois, et il ne sera toute sa vie qu’un duc à demi-ultra, à demi-libéral, un être indécis toujours éloigné des extrêmes, et par conséquent se trouvant le second partout.

Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l’entreprend ? C’est quand elle est accomplie qu’elle semble possible aux êtres du commun. Oui, c’est l’amour avec tous ses