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une négociation

paquet, et je te mènerai chez M. de Rênal, où tu seras précepteur des enfants.

— Qu’aurai-je pour cela ?

— La nourriture, l’habillement et trois cents francs de gages.

— Je ne veux pas être domestique.

— Animal, qui te parle d’être domestique, est-ce que je voudrais que mon fils fût domestique ?

— Mais, avec qui mangerai-je ?

Cette demande déconcerta le vieux Sorel, il sentit qu’en parlant il pourrait commettre quelque imprudence ; il s’emporta contre Julien, qu’il accabla d’injures, en l’accusant de gourmandise, et le quitta pour aller consulter ses autres fils.

Julien les vit bientôt après, chacun appuyé sur sa hache et tenant conseil. Après les avoir longtemps regardés, Julien, voyant qu’il ne pouvait rien deviner, alla se placer de l’autre côté de la scie, pour éviter d’être surpris. Il voulait penser à cette annonce imprévue qui changeait son sort, mais il se sentit incapable de prudence ; son imagination était tout entière à se figurer ce qu’il verrait dans la belle maison de M. de Rênal.

Il faut renoncer à tout cela, se dit-il, plutôt que de se laisser réduire à manger avec les domestiques. Mon père voudra m’y forcer ; plutôt mourir. J’ai quinze