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— Ne me parlez pas ainsi, de grâce, ou j’appelle mon mari. Je ne suis déjà que trop coupable de ne vous avoir pas chassé, quoi qu’il pût en arriver. J’ai pitié de vous, lui dit-elle, cherchant à blesser son orgueil qu’elle connaissait si irritable.

Ce refus de tutoiement, cette façon brusque de briser un lien si tendre, et sur lequel il comptait encore, portèrent jusqu’au délire le transport d’amour de Julien.

— Quoi ! est-il possible que vous ne m’aimiez plus ! lui dit-il avec un de ces accents du cœur, si difficiles à écouter de sang-froid.

Elle ne répondit pas ; pour lui, il pleurait amèrement.

Réellement, il n’avait plus la force de parler.

— Ainsi je suis complètement oublié du seul être qui m’ait jamais aimé ! À quoi bon vivre désormais ? Tout son courage l’avait quitté dès qu’il n’avait plus eu à craindre le danger de rencontrer un homme ; tout avait disparu de son cœur, hors l’amour.

Il pleura longtemps en silence. Il prit sa main, elle voulut la retirer ; et cependant, après quelques mouvements presque convulsifs, elle la lui laissa. L’obscurité était extrême ; ils se trouvaient l’un et l’autre assis sur le lit de madame de Rênal.