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pour vous ; j’aurais agi deux mois plus tôt, car vous le méritez, sans la dénonciation fondée sur l’adresse d’Amanda Binet, trouvée chez vous. Je vous fais répétiteur pour le Nouveau et l’Ancien Testament.

Julien, transporté de reconnaissance, eut bien l’idée de se jeter à genoux et de remercier Dieu ; mais il céda à un mouvement plus vrai. Il s’approcha de l’abbé Pirard et lui prit la main, qu’il porta à ses lèvres.

— Qu’est ceci ? s’écria le directeur d’un air fâché ; mais les yeux de Julien en disaient encore plus que son action.

L’abbé Pirard le regarda avec étonnement, tel qu’un homme qui, depuis de longues années, a perdu l’habitude de rencontrer des émotions délicates. Cette attention trahit le directeur ; sa voix s’altéra.

— Eh bien ! oui, mon enfant, je te suis attaché. Le ciel sait que c’est bien malgré moi. Je devrais être juste, et n’avoir ni haine, ni amour pour personne. Ta carrière sera pénible. Je vois en toi quelque chose qui offense le vulgaire. La jalousie et la calomnie te poursuivront. En quelque lieu que la Providence te place, tes compagnons ne te verront jamais sans te haïr ; et s’ils feignent de t’aimer, ce sera pour te trahir plus sûrement. À cela il n’y a qu’un remède : n’aie recours qu’à Dieu, qui t’a