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culté à vaincre n’était pas bien grande ; mais il était seul comme une barque abandonnée au milieu de l’Océan. Et quand je réussirais, se disait-il ; avoir toute une vie à passer en si mauvaise compagnie ! Des gloutons qui ne songent qu’à l’omelette au lard qu’ils dévoreront au dîner, ou des abbés Castanède, pour qui aucun crime n’est trop noir ! Ils parviendront au pouvoir ; mais à quel prix, grand Dieu !

La volonté de l’homme est puissante, je le lis partout ; mais suffit-elle pour surmonter un tel dégoût ? La tâche des grands hommes a été facile ; quelque terrible que fût le danger, ils le trouvaient beau ; et qui peut comprendre, excepté moi, la laideur de ce qui m’environne ?

Ce moment fut le plus éprouvant de sa vie. Il lui était si facile de s’engager dans un des beaux régiments en garnison à Besançon ! il pouvait se faire maître de latin ; il lui fallait si peu pour sa subsistance ! mais alors plus de carrière, plus d’avenir pour son imagination : c’était mourir. Voici le détail d’une de ses tristes journées.

Ma présomption s’est si souvent applaudie de ce que j’étais différent des autres jeunes paysans ! Eh bien, j’ai assez vécu pour voir que différence engendre haine,