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en criant. Il la trouva, s’assit lentement, et regardant de nouveau Julien, d’un air à lui arracher le peu de vie qui lui restait :

— Vous m’êtes recommandé par M. Chélan, c’était le meilleur curé du diocèse, homme vertueux s’il en fût, et mon ami depuis trente ans.

— Ah ! c’est à M. Pirard que j’ai l’honneur de parler, dit Julien d’une voix mourante.

— Apparemment, répliqua le directeur du séminaire, en le regardant avec humeur.

Il y eut un redoublement d’éclat dans ses petits yeux, suivi d’un mouvement involontaire des muscles des coins de la bouche. C’était la physionomie du tigre goûtant par avance le plaisir de dévorer sa proie.

— La lettre de Chélan est courte, dit-il, comme se parlant à lui-même. Intelligenti pauca : par le temps qui court, on ne saurait écrire trop peu. Il lut haut :

« Je vous adresse Julien Sorel, de cette paroisse, que j’ai baptisé il y aura vingt ans ; fils d’un charpentier riche, mais qui ne lui donne rien. Julien sera un ouvrier remarquable dans la vigne du Seigneur. La mémoire, l’intelligence ne manquent point, il y a de la réflexion.