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lui rendit de la monnaie le plus lentement qu’elle put, tout en lui répétant à voix basse :

— Sortez à l’instant du café, ou je ne vous aime plus ; et cependant je vous aime bien.

Julien sortit, en effet, mais lentement. N’est-il pas de mon devoir, se répétait-il, d’aller regarder à mon tour en soufflant ce grossier personnage ? Cette incertitude le retint une heure, sur le boulevard, devant le café ; il regardait si son homme sortait. Il ne parut pas, et Julien s’éloigna.

Il n’était à Besançon que depuis quelques heures, et déjà il avait conquis un remords. Le vieux chirurgien-major lui avait donné autrefois, malgré sa goutte, quelques leçons d’escrime ; telle était toute la science que Julien trouvait au service de sa colère. Mais cet embarras n’eût rien été s’il eût su comment se fâcher autrement qu’en donnant un soufflet ; et, si l’on en venait aux coups de poings, son rival, homme énorme, l’eût battu et puis planté là.

Pour un pauvre diable comme moi, se dit Julien, sans protecteurs et sans argent, il n’y aura pas grande différence entre un séminaire et une prison ; il faut que je dépose mes habits bourgeois dans