Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/326

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il obéit, et, pendant deux minutes, se tint immobile à sa place, pâle, résolu et ne songeant qu’à ce qui allait arriver ; il était vraiment bien en cet instant. Le rival avait été étonné des yeux de Julien ; son verre d’eau-de-vie avalé d’un trait, il dit un mot à Amanda, plaça ses deux mains dans les poches latérales de sa grosse redingote, et s’approcha d’un billard en soufflant et regardant Julien. Celui-ci se leva transporté de colère ; mais il ne savait comment s’y prendre pour être insolent. Il posa son petit paquet, et, de l’air le plus dandinant qu’il put, marcha vers le billard.

En vain la prudence lui disait : Mais avec un duel dès l’arrivée à Besançon la carrière ecclésiastique est perdue.

— Qu’importe, il ne sera pas dit que je manque un insolent.

Amanda vit son courage ; il faisait un joli contraste avec la naïveté de ses manières ; en un instant, elle le préféra au grand jeune homme en redingote. Elle se leva, et, tout en ayant l’air de suivre de l’œil quelqu’un qui passait dans la rue, elle vint se placer rapidement entre lui et le billard :

— Gardez-vous de regarder de travers ce monsieur, c’est mon beau-frère.

— Que m’importe ? il m’a regardé.