Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, I, 1927, éd. Martineau.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’alla se coucher qu’à deux heures du matin, laissant cette famille enchantée de ses bonnes manières, de sa complaisance et de sa gaîté.

Le lendemain, M. et madame de Rênal lui remirent les lettres dont il avait besoin à la cour de France.

Ainsi, partout de la fausseté, dit Julien. Voilà il signor Geronimo qui va à Londres avec soixante mille francs d’appointements. Sans le savoir-faire du directeur de San-Carlino, sa voix divine n’eût peut-être été connue et admirée que dix ans plus tard. Ma foi, j’aimerais mieux être un Geronimo qu’un Rênal. Il n’est pas si honoré dans la société, mais il n’a pas le chagrin de faire des adjudications comme celle d’aujourd’hui, et sa vie est gaie.

Une chose étonnait Julien : les semaines solitaires passées à Verrières, dans la maison de M. de Rênal, avaient été pour lui une époque de bonheur. Il n’avait rencontré le dégoût et les tristes pensées qu’aux dîners qu’on lui avait donnés ; dans cette maison solitaire, ne pouvait-il pas lire, écrire, réfléchir sans être troublé ? À chaque instant, il n’était pas tiré de ses rêveries brillantes par la cruelle nécessité d’étudier les mouvements d’une âme basse, et encore afin de la tromper par des démarches ou des mots hypocrites.