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vrait ses enfants de baisers, ce qui ne pouvait guère se faire sans s’appuyer un peu sur Julien.

Tout à coup la porte s’ouvrit ; c’était M. de Rênal. Sa figure sévère et mécontente fit un étrange contraste avec la douce joie que sa présence chassait. Madame de Rênal pâlit ; elle se sentait hors d’état de rien nier. Julien saisit la parole, et, parlant très haut, se mit à raconter à M. le maire le trait du gobelet d’argent que Stanislas voulait vendre. Il était sûr que cette histoire serait mal accueillie. D’abord M. de Rênal fronçait le sourcil par bonne habitude au seul nom d’argent. La mention de ce métal, disait-il, est toujours une préface à quelque mandat tiré sur ma bourse.

Mais ici il y avait plus qu’intérêt d’argent ; il y avait augmentation de soupçons. L’air de bonheur qui animait sa famille en son absence n’était pas fait pour arranger les choses, auprès d’un homme dominé par une vanité aussi chatouilleuse. Comme sa femme lui vantait la manière remplie de grâce et d’esprit avec laquelle Julien donnait des idées nouvelles à ses élèves :

— Oui ! oui ! je le sais, il me rend odieux à mes enfants ; il lui est bien aisé d’être pour eux cent fois plus aimable