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Cette dame, apparemment si sensible au plaisir de la propriété, venait de faire une scène abominable, pendant le dîner, à un domestique qui avait cassé un verre à pied et dépareillé une de ses douzaines ; et ce domestique avait répondu avec la dernière insolence.

Quel ensemble ! se disait Julien ; ils me donneraient la moitié de tout ce qu’ils volent, que je ne voudrais pas vivre avec eux. Un beau jour, je me trahirais ; je ne pourrais retenir l’expression du dédain qu’ils m’inspirent.

Il fallut cependant, d’après les ordres de madame de Rênal, assister à plusieurs dîners du même genre ; Julien fut à la mode ; on lui pardonnait son habit de garde d’honneur, ou plutôt cette imprudence était la cause véritable de ses succès. Bientôt, il ne fut plus question dans Verrières que de voir qui l’emporterait dans la lutte pour obtenir le savant jeune homme, de M. de Rênal, ou du directeur du dépôt. Ces messieurs formaient avec M. Maslon un triumvirat qui, depuis nombre d’années, tyrannisait la ville. On jalousait le maire, les libéraux avaient à s’en plaindre ; mais après tout il était noble et fait pour la supériorité, tandis que le père de M. Valenod ne lui avait pas laissé six cents livres de