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xiv
préface

romans de Stendhal, relever de nombreux traits qui expliquent autant l’auteur que le personnage. Mais il est certain qu’entre tous ses héros, c’est Julien Sorel qui lui ressemble le plus.

Il a été bien diversement apprécié, ce petit paysan, dont l’âme est si brûlante et l’apparence de glace. Beaucoup le tiennent pour une âme méchante. Suivant l’expression même de l’auteur, il est l’homme malheureux en guerre avec la société. On l’a traité d’hypocrite, d’ambitieux avide, de bête de proie. Il n’a cependant pas la cruelle perfidie de Valmont, ni la sécheresse de cœur d’un Rastignac ou d’un Marsay, ni la curiosité sadique et froide d’un Robert Greslou, ni l’ignoble bassesse de Bel-Ami. C’est un jeune homme dont la sensibilité trop vibrante n’est plus maîtrisée par une morale sans valeur à ses yeux. Il demeure, malgré tout, un jeune être sentimental dont les circonstances autant que l’ambition ont fait un roué. Il a le goût du risque et veut s’affranchir à la fois de la catégorie des classes sociales et du pouvoir de l’argent. Il est naturel qu’il paie de sa tête la folle gageure qu’il ne pouvait gagner. Mais ne devons-nous pas le plaindre ? Le plaindre, et lui être reconnaissant aussi de nous avoir enseigné la maîtrise de soi dans la passion, et cet art de demeurer lucide au sein même