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prêtre, alla prendre chez son père une douzaine de planches de sapin, qu’il porta lui-même sur le dos tout le long de la grande rue. Il emprunta des outils à un ancien camarade, et eut bientôt bâti une sorte de bibliothèque, dans laquelle il rangea les livres de M. Chélan.

— Je te croyais corrompu par la vanité du monde, lui disait le vieillard pleurant de joie ; voilà qui rachète bien l’enfantillage de ce brillant uniforme de garde d’honneur qui t’a fait tant d’ennemis.

M. de Rênal avait ordonné à Julien de loger chez lui. Personne ne soupçonna ce qui s’était passé. Le troisième jour après son arrivée, Julien vit monter jusque dans sa chambre un non moindre personnage que M. le sous-préfet de Maugiron. Ce ne fut qu’après deux grandes heures de bavardage insipide et de grandes jérémiades sur la méchanceté des hommes, sur le peu de probité des gens chargés de l’administration des deniers publics, sur les dangers de cette pauvre France, etc., etc., que Julien vit poindre enfin le sujet de la visite. On était déjà sur le palier de l’escalier, et le pauvre précepteur à demi disgrâcié reconduisait avec le respect convenable le futur préfet de quelque heureux département, quand il plut à celui-ci de s’occuper de la fortune de Julien,