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le rouge et le noir

ce souvenir fatal nous empêchera à jamais d’être heureux !

Il vit tout à coup madame de Rênal froncer le sourcil, elle prit un air froid et dédaigneux ; cette façon de penser lui semblait convenir à un domestique. Élevée dans l’idée qu’elle était fort riche, il lui semblait chose convenue que Julien l’était aussi. Elle l’aimait mille fois plus que la vie et ne faisait aucun cas de l’argent.

Julien était loin de deviner ces idées. Ce froncement de sourcil le rappela sur la terre. Il eut assez de présence d’esprit pour arranger sa phrase et faire entendre à la noble dame, assise si près de lui sur le banc de verdure, que les mots qu’il venait de répéter, il les avait entendus pendant son voyage chez son ami le marchand de bois. C’était le raisonnement des impies.

— Eh bien ! ne vous mêlez plus à ces gens-là, dit madame de Rênal, gardant encore un peu de cet air glacial qui, tout à coup, avait succédé à l’expression de la plus vive tendresse.

Ce froncement de sourcil, ou plutôt le remords de son imprudence, fut le premier échec porté à l’illusion qui entraînait Julien. Il se dit : Elle est bonne et douce, son goût pour moi est vif, mais elle a été élevée dans le camp ennemi. Ils doivent