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une soirée à la campagne

Son âme fut inondée de bonheur, non qu’il aimât madame de Rênal, mais un affreux supplice venait de cesser. Pour que madame Derville ne s’aperçût de rien, il se crut obligé de parler ; sa voix alors était éclatante et forte. Celle de madame de Rênal, au contraire, trahissait tant d’émotion, que son amie la crut malade et lui proposa de rentrer. Julien sentit le danger : Si madame de Rênal rentre au salon, je vais retomber dans la position affreuse où j’ai passé la journée. J’ai tenu cette main trop peu de temps pour que cela compte comme un avantage qui m’est acquis.

Au moment où madame Derville renouvelait la proposition de rentrer au salon, Julien serra fortement la main qu’on lui abandonnait.

Madame de Rênal, qui se levait déjà, se rassit, en disant, d’une voix mourante :

— Je me sens, à la vérité, un peu malade, mais le grand air me fait du bien.

Ces mots confirmèrent le bonheur de Julien, qui, dans ce moment, était extrême : il parla, il oublia de feindre, il parut l’homme le plus aimable aux deux amies qui l’écoutaient. Cependant il y avait encore un peu de manque de courage dans cette éloquence qui lui arrivait tout à coup. Il craignait mortellement que madame Der-