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aimé ; il pleurait avec délices, et alla cacher ses larmes dans les grands bois au-dessus de Verrières.

Pourquoi l’état où je me trouve ? se dit-il enfin ; je sens que je donnerais cent fois ma vie pour ce bon curé Chélan, et cependant il vient de me prouver que je ne suis qu’un sot. C’est lui surtout qu’il m’importe de tromper, et il me devine. Cette ardeur secrète dont il me parle, c’est mon projet de faire fortune. Il me croit indigne d’être prêtre, et cela précisément quand je me figurais que le sacrifice de cinquante louis de rente allait lui donner la plus haute idée de ma piété et de ma vocation.

À l’avenir, continua Julien, je ne compterai que sur les parties de mon caractère que j’aurai éprouvées. Qui m’eût dit que je trouverais du plaisir à répandre des larmes ! que j’aimerais celui qui me prouve que je ne suis qu’un sot !

Trois jours après, Julien avait trouvé le prétexte dont il eût dû se munir dès le premier jour ; ce prétexte était une calomnie, mais qu’importe ? Il avoua au curé, avec beaucoup d’hésitation, qu’une raison qu’il ne pouvait lui expliquer, parce qu’elle nuirait à un tiers, l’avait détourné tout d’abord de l’union projetée. C’était accuser la conduite d’Élisa. M. Chélan