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lement que lui-même tremble devant le souverain.

Puisque je ne peux fuir ce lieu détesté, il faut que j’y sois utile à Fabrice : vivre seule, solitaire, désespérée ! que puis-je alors pour Fabrice ? Allons, marche, malheureuse femme ; fais ton devoir ; va dans le monde, feins de ne plus penser à Fabrice… Feindre de t’oublier, cher ange !

À ce mot, la duchesse fondit en larmes ; enfin elle pouvait pleurer. Après une heure accordée à la faiblesse humaine, elle vit avec un peu de consolation que ses idées commençaient à s’éclaircir. Avoir le tapis magique, se dit-elle, enlever Fabrice de la citadelle, et me réfugier avec lui dans quelque pays heureux, où nous ne puissions être poursuivis, Paris, par exemple. Nous y vivrions d’abord avec les douze cents francs que l’homme d’affaires de son père me fait passer avec une exactitude si plaisante. Je pourrais bien ramasser cent mille francs des débris de ma fortune ! L’imagination de la duchesse passait en revue avec des moments d’inexprimables délices tous les détails de la vie qu’elle mènerait à trois cents lieues de Parme. Là, se disait-elle, il pourrait entrer au service sous un nom supposé… Placé dans un régiment de ces braves Français, bientôt le jeune Valserra aurait une réputation : enfin il serait heureux.

Ces images fortunées rappelèrent une seconde fois les larmes, mais celles-ci étaient de douces larmes. Le bonheur existait donc encore quelque