Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/45

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 41 —

trahissait toute sa surprise. Elle, profondément pensive, n’avait pas songé à retirer la tête de la portière ; il la salua avec le demi-sourire le plus respectueux ; puis, après un instant :

— Il me semble, mademoiselle, lui dit-il, qu’autrefois, près d’un lac, j’ai déjà eu l’honneur de vous rencontrer avec accompagnement de gendarmes.

Clélia rougit et fut tellement interdite qu’elle ne trouva aucune parole pour répondre. Quel air noble au milieu de ces êtres grossiers ! se disait-elle au moment où Fabrice lui adressa la parole. La profonde pitié, et nous dirons presque l’attendrissement où elle était plongée, lui ôtèrent la présence d’esprit nécessaire pour trouver un mot quelconque ; elle s’aperçut de son silence et rougit encore davantage. En ce moment on tirait avec violence les verrous de la grande porte de la citadelle, la voiture de son excellence n’attendait-elle pas depuis une minute au moins ? Le bruit fut si violent sous cette voûte, que, quand même Clélia aurait trouvé quelque mot pour répondre, Fabrice n’aurait pu entendre ses paroles.

Emportée par les chevaux qui avaient pris le galop aussitôt après le pont-levis, Clélia se disait : Il m’aura trouvée bien ridicule ! Puis tout à coup elle ajouta : Non pas seulement ridicule ; il aura cru voir en moi une âme basse, il aura pensé que je ne répondais pas à son salut parce qu’il est prisonnier et moi fille du gouverneur.