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La marquise Crescenzi, accablée de remords, et effrayée par le directeur de sa conscience, avait trouvé un excellent moyen pour se soustraire aux regards de Fabrice. Prenant prétexte de la fin d’une première grossesse, elle s’était donné pour prison son propre palais ; mais ce palais avait un immense jardin. Fabrice sut y pénétrer et plaça dans l’allée que Clélia affectionnait le plus des fleurs arrangées en bouquets, et disposées dans un ordre qui leur donnait un langage, comme jadis elle lui en faisait parvenir tous les soirs dans les derniers jours de sa prison à la tour Farnèse.

La marquise fut très irritée de cette tentative ; les mouvements de son âme étaient dirigés, tantôt par les remords, tantôt par la passion. Durant plusieurs mois elle ne se permit pas de descendre une seule fois dans le jardin de son palais ; elle se faisait même un scrupule d’y jeter un regard.

Fabrice commençait à croire qu’il était séparé d’elle pour toujours, et le désespoir commençait aussi à s’emparer de son âme. Le monde où il passait sa vie lui déplaisait mortellement, et s’il n’eût été intimement persuadé que le comte ne pouvait trouver la paix de l’âme hors du ministère, il se fût mis en retraite dans son petit appartement de l’archevêché. Il lui eût été doux de vivre tout à ses pensées, et de n’entendre plus la voix humaine que dans l’exercice officiel de ses fonctions.

Mais, se disait-il, dans l’intérêt du comte et de