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Cet épisode du poison avança infiniment les affaires de notre prisonnier ; toutefois jamais il ne put obtenir le moindre aveu qui ressemblât à de l’amour, mais il avait le bonheur de vivre de la manière la plus intime avec Clélia. Tous les matins, et souvent les soirs, il y avait une longue conversation avec les alphabets ; chaque soir, à neuf heures, Clélia acceptait une longue lettre, et quelquefois y répondait par quelques mots ; elle lui envoyait le journal et quelques livres ; enfin, Grillo avait été amadoué au point d’apporter à Fabrice du pain et du vin, qui lui étaient remis journellement par la femme de chambre de Clélia. Le geôlier Grillo en avait conclu que le gouverneur n’était pas d’accord avec les gens qui avaient chargé Barbone d’empoisonner le jeune monsignor, et il en était fort aise, ainsi que tous ses camarades, car un proverbe s’était établi dans la prison : Il suffit de regarder en face monsignor del Dongo pour qu’il vous donne de l’argent.

Fabrice était devenu fort pâle ; le manque absolu d’exercice nuisait à sa santé ; à cela près, jamais il n’avait été aussi heureux. Le ton de la conversation était intime, et quelquefois fort gai, entre Clélia et lui. Les seuls moments de la vie de Clélia qui ne fussent pas assiégés de prévisions funestes et de remords étaient ceux qu’elle passait à s’entretenir avec lui. Un jour elle eut l’imprudence de lui dire :