Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 146 —

assez autorisé pour lui adresser une question sur la sérénade ; il craignit d’être impoli.

Clélia avait grandement raison d’être triste : c’était une sérénade que lui donnait le marquis Crescenzi ; une démarche aussi publique était en quelque sorte l’annonce officielle du mariage. Jusqu’au jour même de la sérénade, et jusqu’à neuf heures du soir, Clélia avait fait la plus belle résistance, mais elle avait eu la faiblesse de céder à la menace d’être envoyée immédiatement au couvent, qui lui avait été faite par son père.

Quoi ! je ne le verrais plus ! s’était-elle dit en pleurant. C’est en vain que sa raison avait ajouté : Je ne le verrais plus cet être qui fera mon malheur de toutes les façons, je ne verrais plus cet amant de la duchesse, je ne verrais plus cet homme léger qui a eu dix maîtresses connues à Naples, et les a toutes trahies ; je ne verrais plus ce jeune ambitieux qui, s’il survit à la sentence qui pèse sur lui, va s’engager dans les ordres sacrés ! Ce serait un crime pour moi de le regarder encore lorsqu’il sera hors de cette citadelle, et son inconstance naturelle m’en épargnera la tentation ; car, que suis-je pour lui ? un prétexte pour passer moins ennuyeusement quelques heures de chacune de ses journées de prison. Au milieu de toutes ces injures, Clélia vint à se souvenir du sourire avec lequel il regardait les gendarmes qui l’entouraient lorsqu’il sortait du bureau d’écrou pour monter à la tour Far-