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pieds au-dessus de la plaine, ils aperçurent assez bien un coin de la bataille ; mais enfin il n’y avait personne dans le pré au delà du bois. Ce pré était bordé à mille pas de distance par une longue rangée de saules, très touffus ; au-dessus des saules paraissait une fumée blanche qui quelquefois s’élevait dans le ciel en tournoyant.

— Si je savais seulement où est le régiment, disait la cantinière embarrassée. Il ne faut pas traverser ce grand pré tout droit. À propos, toi, dit-elle à Fabrice, si tu vois un soldat ennemi, pique-le avec la pointe de ton sabre, ne va pas t’amuser à le sabrer.

À ce moment, la cantinière aperçut les quatre soldats dont nous venons de parler ; ils débouchaient du bois dans les plaines à gauche de la route. L’un d’eux était à cheval.

— Voilà ton affaire, dit-elle à Fabrice. Holà, ho ! cria-t-elle à celui qui était à cheval, viens donc ici boire le verre d’eau-de-vie. Les soldats s’approchèrent.

— Où est le 6e léger ? cria-t-elle.

— Là-bas, à cinq minutes d’ici, en avant de ce canal qui est le long des saules ; même que le colonel Macon vient d’être tué.

— Veux-tu cinq francs de ton cheval, toi ?

— Cinq francs ! tu ne plaisantes pas mal, petite mère, un cheval d’officier que je vais vendre cinq napoléons avant un quart d’heure.