Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 61 —

la main du cadavre qu’il secoua ferme ; puis il resta comme anéanti ; il sentait qu’il n’avait pas la force de remonter à cheval. Ce qui lui faisait horreur surtout c’était cet œil ouvert.

La vivandière va me croire un lâche, se disait-il avec amertume ; mais il sentait l’impossibilité de faire un mouvement : il serait tombé. Ce moment fut affreux ; Fabrice fut sur le point de se trouver mal tout à fait. La vivandière s’en aperçut, sauta lestement à bas de sa petite voiture, et lui présenta, sans mot dire, un verre d’eau-de-vie qu’il avala d’un trait ; il put remonter sur sa rosse, et continua la route sans dire une parole.

La vivandière le regardait de temps à autre du coin de l’œil.

— Tu te battras demain, mon petit, lui dit-elle enfin, aujourd’hui tu resteras avec moi. Tu vois bien qu’il faut que tu apprennes le métier de soldat.

— Au contraire, je veux me battre tout de suite ! s’écria notre héros d’un air sombre, qui sembla de bon augure à la vivandière. Le bruit du canon redoublait et semblait s’approcher. Les coups commençaient à former une basse continue ; un coup n’était séparé du coup voisin par aucun intervalle, et sur cette basse continue, qui rappelait le bruit d’un torrent lointain, on distinguait fort bien les feux de peloton.

Dans ce moment la route s’enfonçait au milieu