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pêcher de partir, elle lui remit le peu d’argent qu’elle possédait ; puis elle se souvint qu’elle avait depuis la veille huit ou dix petits diamants valant peut-être dix mille francs, que le marquis lui avait confiés pour les faire monter à Milan. Les sœurs de Fabrice entrèrent chez leur mère tandis que la comtesse cousait ces diamants dans l’habit de voyage de notre héros ; il rendait à ces pauvres femmes leurs chétifs napoléons. Ses sœurs furent tellement enthousiasmées de son projet, elles l’embrassaient avec une joie si bruyante, qu’il prit à la main quelques diamants qui restaient encore à cacher, et voulut partir sur-le-champ.

— Vous me trahirez à votre insu, dit-il à ses sœurs. Puisque j’ai tant d’argent, il est inutile d’emporter des hardes ; on en trouve partout. Il embrassa ces personnes qui lui étaient si chères, et partit à l’instant même sans vouloir rentrer dans sa chambre. Il marcha si vite, craignant toujours d’être poursuivi par des gens à cheval, que le soir même il entrait à Lugano. Grâce à Dieu, il était dans une ville suisse, et ne craignait plus d’être violenté sur la route solitaire par des gendarmes payés par son père. De ce lieu il lui écrivit une belle lettre, faiblesse d’enfant qui donna de la consistance à la colère du marquis. Fabrice prit la poste, passa le Saint-Gothard ; son voyage fut rapide, et il entra en France par Pontarlier. L’Empereur était à Paris. La commen-