Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 45 —

du matin quand je me suis vu à la porte de Vasi. Je pensais devoir frapper longtemps pour le réveiller ; mais il était debout avec trois de ses amis. À mon premier mot : « Tu vas rejoindre Napoléon ! » s’est-il écrié ; et il m’a sauté au cou. Les autres aussi m’ont embrassé avec transport. « Pourquoi suis-je marié ! » disait l’un d’eux.

Madame Pietranera était devenue pensive ; elle crut devoir présenter quelques objections. Si Fabrice eût eu la moindre expérience, il eût bien vu que la comtesse elle-même ne croyait pas aux bonnes raisons qu’elle se hâtait de lui donner. Mais, à défaut d’expérience, il avait de la résolution ; il ne daigna pas même écouter ces raisons. La comtesse se réduisit bientôt à obtenir de lui que du moins il fit part de son projet à sa mère.

— Elle le dira à mes sœurs, et ces femmes me trahiront à leur insu ! s’écria Fabrice avec une sorte de hauteur héroïque.

— Parlez donc avec plus de respect, dit la comtesse souriant au milieu de ses larmes, du sexe qui fera votre fortune ; car vous déplairez toujours aux hommes, vous avez trop de feu pour les âmes prosaïques.

La marquise fondit en larmes en apprenant l’étrange projet de son fils ; elle n’en sentait pas l’héroïsme, et fit tout son possible pour le retenir. Quand elle fut convaincue que rien au monde, excepté les murs d’une prison, ne pourrait l’em-