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— II —

Le silence se fit sur ses ouvrages aussi bien que sur sa tombe. Le grand public ne les avait pas lus ; ses amis mêmes parurent les oublier. Il fut rayé de la mémoire des hommes. Le fait paraîtra sans doute extraordinaire aux jeunes gens qui me lisent en 1883. Veulent-ils une preuve bien singulière de ce que j’avance ?

En quarante-huit, j’entrai à l’École normale. Nous nous trouvions là une soixantaine de jeunes gens, qui avions tous la passion des lettres, qui dévorions pêle-mêle, avec ce robuste et impartial appétit de la jeunesse, et les chefs-d’œuvre de l’antiquité, et les productions contemporaines ; qui nous piquions d’être au courant de tout ce qui s’écrivait en France, prose ou vers, et ne nous faisions pas faute d’en dire notre avis. Eh bien ! aucun de nous, – entendez bien cela ! – aucun de nous ne connaissait Stendhal, même de nom ; ou si son nom était par hasard tombé sous nos yeux, il n’avait point frappé notre esprit, car il ne nous rappelait aucun livre qui eût jamais fixé notre attention.

Ce petit fait, dont je garantis l’authenticité, montre bien l’épaisseur de la nuit qui s’était faite autour de Stendhal. Il avait été servi par delà ses souhaits : « Je ne tiens, avait-il souvent répété, je ne tiens à être lu qu’en 1880. C’est seu-