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avec enthousiasme l’idée de ce nouveau genre de vie ; il y avait vingt ans qu’elle n’avait habité ce château vénérable s’élevant majestueusement au milieu des vieux châtaigniers plantés du temps des Sforce. Là, se disait-elle, je trouverai le repos, et, à mon âge, n’est-ce pas le bonheur ? (Comme elle avait trente-un ans, elle se croyait arrivée au moment de la retraite.) Sur ce lac sublime où je suis née, m’attend enfin une vie heureuse et paisible.

Je ne sais si elle se trompait, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que cette âme passionnée, qui venait de refuser si lestement l’offre de deux immenses fortunes, apporta le bonheur au château de Grianta. Ses deux nièces étaient folles de joie. — Tu m’as rendu les beaux jours de la jeunesse, lui disait la marquise en l’embrassant ; la veille de ton arrivée j’avais cent ans. La comtesse se mit à revoir, avec Fabrice, tous ces lieux enchanteurs voisins de Grianta, et si célébrés par les voyageurs : la villa Melzi de l’autre côté du lac, vis-à vis le château, et qui lui sert de point de vue ; au-dessus, le bois sacré des Sfondrata, et le hardi promontoire qui sépare les deux branches du lac, celle de Côme, si voluptueuse, et celle qui coule vers Lecco, pleine de sévérité : aspects sublimes et gracieux, que le site le plus renommé du monde, la baie de Naples, égale, mais ne surpasse point. C’était avec ravissement que la comtesse retrouvait les souvenirs de sa première jeu-