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noire, ils essayaient d’ouvrir les cadenas de ces chaînes qui attachent les bateaux à quelque grosse pierre ou à quelque arbre voisin du rivage. Il faut savoir que sur le lac de Côme, l’industrie des pêcheurs place des lignes dormantes à une grande distance des bords. L’extrémité supérieure de la corde est attachée à une planchette doublée de liège, et une branche de coudrier très-flexible, fichée sur cette planchette, soutient une petite sonnette qui tinte lorsque le poisson, pris à la ligne, donne des secousses à la corde.

Le grand objet de ces expéditions nocturnes, que Fabrice commandait en chef, était d’aller visiter les lignes dormantes, avant que les pêcheurs eussent entendu l’avertissement donné par les petites clochettes. On choisissait les temps d’orage ; et, pour ces parties hasardeuses, on s’embarquait le matin, une heure avant l’aube. En montant dans la barque, ces enfants croyaient se précipiter dans les plus grands dangers, c’était là le beau côté de leur action ; et, suivant l’exemple de leurs pères, ils récitaient dévotement un Ave Maria. Or, il arrivait souvent qu’au moment du départ, et à l’instant qui suivait l’Ave Maria, Fabrice était frappé d’un présage. C’était là le fruit qu’il avait retiré des études astrologiques de son ami l’abbé Blanès, aux prédictions duquel il ne croyait point. Suivant sa jeune imagination, ce présage lui annonçait avec certitude le bon ou le mau-