Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/389

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 353 —

le faisait songer au bonheur du même genre qu’il aurait pu trouver auprès de la duchesse.

Mais n’est-ce pas une chose bien plaisante, se disait-il quelquefois, que je ne sois pas susceptible de cette préoccupation exclusive et passionnée qu’ils appellent de l’amour ? Parmi les liaisons que le hasard m’a données à Novare ou à Naples, ai-je jamais rencontré de femme dont la présence, même dans les premiers jours, fût pour moi préférable à une promenade sur un joli cheval inconnu ? Ce qu’on appelle amour, ajoutait-il, serait-ce donc encore un mensonge ? J’aime sans doute, comme j’ai bon appétit à six heures ! Serait-ce cette propension quelque peu vulgaire dont ces menteurs auraient fait l’amour d’Othello, l’amour de Tancrède ? ou bien faut-il croire que je suis organisé autrement que les autres hommes ? Mon âme manquerait d’une passion ; pour quoi cela ? ce serait une singulière destinée !

À Naples, surtout dans les derniers temps, Fabrice avait rencontré des femmes qui, fières de leur rang, de leur beauté et de la position qu’occupaient dans le monde les adorateurs qu’elles lui avaient sacrifiés, avaient prétendu le mener. À la vue de ce projet, Fabrice avait rompu de la façon la plus scandaleuse et la plus rapide. Or, se disait-il, si je me laisse jamais transporter par le plaisir, sans doute très-vif, d’être bien avec cette jolie femme qu’on appelle la duchesse Sanseverina, je