Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/346

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 310 —

comme inférieur ; il allait subir un interrogatoire.

L’employé qui tendit une main jaune pour prendre son passe-port était petit et noir, il portait un bijou de laiton à sa cravate. Ceci est un bourgeois de mauvaise humeur, se dit Fabrice ; le personnage parut excessivement surpris en lisant le passe-port, et cette lecture dura bien cinq minutes.

— Vous avez eu un accident, dit-il à l’étranger en indiquant sa joue du regard.

— Le veturino nous a jetés en bas de la digue du Pô. Puis le silence recommença et l’employé lançait des regards farouches sur le voyageur.

J’y suis, se dit Fabrice, il va me dire qu’il est fâché d’avoir une mauvaise nouvelle à m’apprendre et que je suis arrêté. Toutes sortes d’idées folles arrivèrent à la tête de notre héros, qui dans ce moment n’était pas fort logique. Par exemple, il songea à s’enfuir par la porte du bureau qui était restée ouverte : Je me défais de mon habit ; je me jette dans le Pô, et sans doute je pourrai le traverser à la nage. Tout vaut mieux que le Spielberg. L’employé de police le regardait fixement au moment où il calculait les chances de succès de cette équipée, cela faisait deux bonnes physionomies. La présence du danger donne du génie à l’homme raisonnable, elle le met, pour ainsi dire, au-dessus de lui-même ; à