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être trente-six heures ou deux jours. Toutes réflexions faites, Fabrice brûla avec le feu de son cigare son propre passe-port ; il valait mieux pour lui, en pays autrichien, être un vagabond que d’être Fabrice del Dongo, et il était possible qu’on le fouillât.

Indépendamment de la répugnance bien naturelle qu’il avait à confier sa vie au passe-port du malheureux Giletti, ce document présentait des difficultés matérielles : la taille de Fabrice atteignait tout au plus à cinq pieds cinq pouces, et non pas à cinq pieds dix pouces comme l’énonçait le passe-port ; il avait près de vingt-quatre ans et paraissait plus jeune ; Giletti en avait trente-neuf. Nous avouerons que notre héros se promena une grande demi-heure sur une contre-digue du Pô voisine du pont de barques, avant de se décider à y descendre. Que conseillerais-je à un autre qui se trouverait à ma place ? se dit-il enfin. Évidemment de passer : il y a péril à rester dans l’État de Parme ; un gendarme peut être envoyé à la poursuite de l’homme qui en a tué un autre, fût-ce même à son corps défendant. Fabrice fit la revue de ses poches, déchira tous les papiers et ne garda exactement que son mouchoir et sa boîte à cigares ; il lui importait d’abréger l’examen qu’il allait subir. Il pensa à une terrible objection qu’on pourrait lui faire et à laquelle il ne trouvait que de mauvaises réponses : il allait dire