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en naviguant sur le lac il se souvient d’un vieux conte grec, car il était savant ; il ouvre la lettre de son bon maître et y trouve l’ordre adressé au commandant du château de le mettre à mort aussitôt son arrivée. Le Sforce, trop attentif à la comédie qu’il jouait avec notre aïeul, avait laissé un intervalle entre la dernière ligne du billet et sa signature ; Vespasien del Dongo y écrit l’ordre de le reconnaître pour gouverneur général de tous les châteaux sur le lac, et supprime la tête de la lettre. Arrivé et reconnu dans le fort, il jette le commandant dans un puits, déclare la guerre au Sforce, et au bout de quelques années il échange sa forteresse contre ces terres immenses qui ont fait la fortune de toutes les branches de notre famille, et qui un jour me vaudront à moi quatre mille livres de rente.

— Vous parlez comme un académicien, s’écria le comte en riant ; c’est un beau coup de tête que vous nous racontez là, mais ce n’est que tous les dix ans qu’on a l’occasion amusante de faire de ces choses piquantes. Un être à demi stupide, mais attentif, mais prudent tous les jours, goûte très-souvent le plaisir de triompher des hommes à imagination. C’est par une folie d’imagination que Napoléon s’est rendu au prudent John Bull, au lieu de chercher à gagner l’Amérique. John Bull, dans son comptoir, a bien ri de sa lettre où il cite Thémistocle. De tous temps les vils Sancho