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de France, avec des juges qui renverraient acquittés les gens que j’accuse. Ils arriveraient à ne pas condamner les coquins le plus évidemment coupables et se croiraient des Brutus. Mais je veux vous faire une querelle ; votre âme si délicate n’a-t-elle pas quelque remords au sujet de ce beau cheval un peu maigre que vous venez d’abandonner sur les rives du lac Majeur ?

— Je compte bien, dit Fabrice d’un grand sérieux, faire remettre ce qu’il faudra au maître du cheval pour le rembourser des frais d’affiches et autres, à la suite desquels il se le sera fait rendre par les paysans qui l’auront trouvé ; je vais lire assidûment le journal de Milan, afin d’y chercher l’annonce d’un cheval perdu ; je connais fort bien le signalement de celui-ci.

— Il est vraiment primitif, dit le comte à la duchesse. Et que serait devenue votre excellence, poursuivit-il en riant, si lorsqu’elle galopait ventre à terre sur ce cheval emprunté, il se fût avisé de faire un faux pas ? Vous étiez au Spielberg, mon cher petit neveu, et tout mon crédit eût à peine pu parvenir à faire diminuer d’une trentaine de livres le poids de la chaîne attachée à chacune de vos jambes. Vous auriez passé en ce lieu de plaisance une dizaine d’années ; peut-être vos jambes se fussent-elles enflées et gangrenées : alors on les eût fait couper proprement…

— Ah ! de grâce, ne poussez pas plus loin un