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F…, dit-il, en élevant la voix, lâchez donc le cheval ! Le valet de chambre, stupéfait, ne soufflait mot. Fabrice passa son pistolet dans la main gauche, saisit la bride que l’autre lâcha, sauta à cheval et partit au petit galop. Quand il fut à trois cents pas, il s’aperçut qu’il avait oublié de donner les vingt francs promis ; il s’arrêta : il n’y avait toujours personne sur la route que le valet de chambre qui le suivait au galop ; il lui fit signe avec son mouchoir d’avancer, et quand il le vit à cinquante pas, il jeta sur la route une poignée de monnaie, et repartit. Il vit de loin le valet de chambre ramasser les pièces d’argent. Voilà un homme vraiment raisonnable, se dit Fabrice en riant ; pas un mot inutile ! Il fila rapidement, vers le midi s’arrêta dans une maison écartée, et se remit en route quelques heures plus tard. À deux heures du matin il était sur le bord du lac Majeur ; bientôt il aperçut sa barque qui battait l’eau : elle vint au signal convenu. Il ne vit point de paysan à qui remettre le cheval : il rendit la liberté au noble animal ; trois heures après il était à Belgirate. Là, se trouvant en pays ami, il prit quelque repos ; il était fort joyeux, il avait réussi parfaitement bien. Oserons-nous indiquer les véritables causes de sa joie ? Son arbre était d’une venue superbe, et son âme avait été rafraîchie par l’attendrissement profond qu’il avait trouvé dans les bras de l’abbé Blanès. Croit-il