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s’arrangea pour dormir quelques minutes : il ne se réveilla qu’à huit heures et demie du soir, l’abbé Blanès lui secouait le bras et il était nuit.

Blanès était extrêmement fatigué, il avait cinquante ans de plus que la veille. Il ne parla plus de choses sérieuses, assis sur son fauteuil de bois : — Embrasse-moi, dit-il à Fabrice. Il le reprit plusieurs fois dans ses bras. La mort, dit-il enfin, qui va terminer cette vie si longue, n’aura rien d’aussi pénible que cette séparation. J’ai une bourse que je laisserai en dépôt à la Ghita, avec ordre d’y puiser pour ses besoins, mais de te remettre ce qui restera si jamais tu viens le demander. Je la connais ; après cette recommandation, elle est capable, par économie pour toi, de ne pas acheter de la viande quatre fois par an, si tu ne lui donnes des ordres bien précis. Tu peux toi-même être réduit à la misère, et l’obole du vieil ami te servira. N’attends rien de ton frère que des procédés atroces, et tâche de gagner de l’argent par un travail qui te rende utile à la société. Je prévois des orages étranges ; peut-être dans cinquante ans ne voudra-t-on plus d’oisifs. Ta mère et ta tante peuvent te manquer, tes sœurs devront obéir à leurs maris… Va-t’en, va-t’en ! fuis ! s’écria Blanès avec empressement ; il venait d’entendre un petit bruit dans l’horloge qui annonçait que dix heures allaient sonner ; il ne voulut pas