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chambre ; mais ce n’était qu’un valet de chambre. Tout à fait sous le clocher, une quantité de jeunes filles vêtues de blanc et divisées en différentes troupes étaient occupées à tracer des dessins avec des fleurs rouges, bleues et jaunes sur le sol des rues où devait passer la procession. Mais il y avait un spectacle qui parlait plus vivement à l’âme de Fabrice : du clocher, ses regards plongeaient sur les deux branches du lac à une distance de plusieurs lieues, et cette vue sublime lui fit bientôt oublier toutes les autres ; elle réveillait chez lui les sentiments les plus élevés. Tous les souvenirs de son enfance vinrent en foule assiéger sa pensée ; et cette journée passée en prison dans un clocher fut peut-être l’une des plus heureuses de sa vie.

Le bonheur le porta à une hauteur de pensées assez étrangère à son caractère ; il considérait les événements de la vie, lui, si jeune, comme si déjà il fût arrivé à sa dernière limite. Il faut en convenir, depuis mon arrivée à Parme, se dit-il enfin, après quelques heures de rêveries délicieuses, je n’ai point eu de joie tranquille et parfaite, comme celle que je trouvais à Naples en galopant dans les chemins de Vômero ou en courant les rives de Mizène. Tous les intérêts si compliqués de cette petite cour méchante m’ont rendu méchant. Je n’ai point du tout de plaisir à haïr, je crois même que ce serait un triste bonheur pour moi, que celui d’humilier mes ennemis si j’en