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une sorte d’enthousiasme qui m’étonne ? où en serais-je maintenant si la duchesse avait eu l’âme de son frère le marquis del Dongo ?

Accablé par ces souvenirs cruels, Fabrice ne marchait plus que d’un pas incertain ; il parvint au bord du fossé précisément vis-à-vis la magnifique façade du château. Ce fut à peine s’il jeta un regard sur ce grand édifice noirci par le temps. Le noble langage de l’architecture le trouva insensible ; le souvenir de son frère et de son père fermait son âme à toute sensation de beauté, il n’était attentif qu’à se tenir sur ses gardes en présence d’ennemis hypocrites et dangereux. Il regarda un instant, mais avec un dégoût marqué, la petite fenêtre de la chambre qu’il occupait avant 1815 au troisième étage. Le caractère de son père avait dépouillé de tout charme les souvenirs de la première enfance. Je n’y suis pas rentré, pensa-t-il, depuis le 7 mars, à 8 heures du soir. J’en sortis pour aller prendre le passe-port de Vasi, et le lendemain, la crainte des espions me fit précipiter mon départ. Quand je repassai après le voyage en France, je n’eus pas le temps d’y monter, même pour revoir mes gravures, et cela grâce à la dénonciation de mon frère.

Fabrice détourna la tête avec horreur. L’abbé Blanès a plus de quatre-vingt-trois ans, se dit-il tristement, il ne vient presque plus au château, à ce que m’a raconté ma sœur ; les infirmités de la