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le souvenir des cas où le présage avait été largement suivi par l’accident heureux ou malheureux qu’il lui semblait prédire, et son âme était frappée de respect et attendrie ; et il eût éprouvé une répugnance invincible pour l’être qui eût nié les présages, et surtout s’il eût employé l’ironie.

Fabrice marchait sans s’apercevoir des distances, et il en était là de ses raisonnements impuissants, lorsqu’en levant la tête il vit le mur du jardin de son père. Ce mur, qui soutenait une belle terrasse, s’élevait à droite. Un cordon de pierres de taille tout en haut, près de la balustrade, lui donnait un air monumental. Il n’est pas mal, se dit froidement Fabrice, cela est d’une bonne architecture, presque dans le goût romain ; il appliquait ses nouvelles connaissances en antiquités. Puis il détourna la tête avec dégoût ; les sévérités de son père, et surtout la dénonciation de son frère Ascagne au retour de son voyage en France, lui revinrent à l’esprit.

Cette dénonciation dénaturée a été l’origine de ma vie actuelle ; je puis la haïr, je puis la mépriser, mais enfin elle a changé ma destinée. Que devenais-je une fois relégué à Novare et n’étant presque que souffert chez l’homme d’affaires de mon père, si ma tante n’avait fait l’amour avec un ministre puissant ? si cette tante se fût trouvée n’avoir qu’une âme sèche et commune au lieu de cette âme tendre et passionnée et qui m’aime avec